J’ai aperçu le mel de mon docteur. Le résultat du test PCR ! À portée d’un clic ! Évidemment j’étais excité. Notre génération n’avait pas connu la guerre. Mais je l’aurais enfin ma grande épreuve personnelle. Enfin une vraie chance d’attraper la Covid ! Enfin l’occasion d’être éprouvé dans ma chair et peut être dans mes poumons brûlés, enfin l’occasion de mourir un peu et de survivre à la fin. Je tenais enfin le grand sujet du grand roman que je rêvais d’écrire : la Covid et moi, une rencontre sans troisième type.
J’ai cliqué. J’ai vu. Et là c’était négatif.
Négatif ! Pleins d’images ce sont bousculées dans ma tête. Comme un retour du refoulé. Comme si mon psychisme avait du reflux. J’avais raté quelque chose, j’avais raté ma vie :
Comme la fois où Mylene m’a refusé un deuxième slow au bal du lycée 89. Un slow qui aurait été probablement conclusif ! Et que Cedric Derwel est venu cueillir un baiser sur ses lèvres. C’était sur du Phil Collins. « Another day in paradise ». J’avais été exclu du Paradis à coup de pompes !
Je n’avais pas la Covid.
On allait se rire de moi. J’avais annoncé partout que ma gorge me grattait, que j’avais les articulations en marmelade, que ma bouche était pâteuse ! J’avais tout pour le réussir mon test.
Ça m’a rappelé cette fois où, au volant d’une petite auto rouge, j’ai traversé trop vite à un carrefour sans regarder vraiment, confiant, presque accélérant, et que l’examinateur sur le siège d’à côté m’a observé comme un filet de Merlu à qui on aurait donné un volant. Fichu le permis. Fichu ma vie. Ça allait sentir le merlu pas frais pour les années qui venaient.
J’ai relu le mel trois fois. Même s’il n’y avait qu’une ligne écrite en gras. Négatif au Covid.
L’héroïsme me serait bien allé. J’aurais écrit tous les jours une chronique covidée. J’aurais frisé les 500 like, ce graal trop rarement atteint, en annonçant mon admission en réanimation. Un lieu pourtant familier où j’ai laissé les bouts de casque qu’on m’a désincarcéré du cerveau.
Mon agression une des rares choses que j’ai vraiment réussie. Quand j’étais face à Lea Salamé je peux vous dire que j’ai pensé à vous. Je savais que c’était le rôle de ma vie que je tenais là : agressé éclopé. Sur Inter ils en voient des malheurs. Ils en tendent des micros à des malheureux. Mais quand ils m’ont offert un café la main tremblante après l’interview j’ai su que je les avais marqués. Qu’ils s’en rappelleraient de l’histoire du casque volant rencontré malencontreusement rue Broca.
J’étais fier. Mais ça n’a pas duré. Même la cicatrice sur mon crâne est moins visible désormais. J’ai quelques dommages neurologiques. Certes. Qui m’obligent à prendre la plume pour m’epancher le matin sur facebook. Mais rien de très visible. Pas de quoi réellement pavoiser.
Alors un Covid dans ces circonstances essayez de me comprendre : j’y tenais. Comme à la prunelle de mes yeux et à la quenelle de mes œufs. C’était une deuxième chance ! Une session de rattrapage de gloire !
J’ai raté mon test au Covid. Je suis vivant. Mais je me sens moins bien vivant qu’avant.
J’ai raté ma vie je reprends ma longue nuit. Celle de l’anonymat qui dure longtemps. Laissez moi cuver mon épidémie en paix. J’ai choisi l’oubli. Je m’en vais. Covider ailleurs.