Ma première fois à Kiev, c'était en septembre 2006. L'automne en Europe centrale et orientale à cette magie d'une saison qui file très vite avant l'entrée dans un long hiver rigoureux; C'est un moment où tout le monde se dépêche de vivre. En septembre à Kiev, on tente donc de prolonger l'été qui s'éloigne avant le long frisson prolongé d'un l'hiver qui dure là bas près de 6 mois : On profite des derniers rayons de soleil qui s'attardent sur les feuilles d'or des arbres. On s'enivre de bière légère aux terrasses qui ne vont pas tarder à s'effacer.
je parle ce jour là de littérature et de politique avec les ukrainiens francophones qui travaillent pour l'institut français, ceux sont mes collègues et mes guides pour mes premiers pas dans la ville avec ses domes dorés, ses tavernes surchauffées, mais aussi son cortège de berlines ultra neuves, de beautés glacées habillées en Gucci juchées sur des talons vertigineux, qui cotoient de pauvres gens en train de vendre quelques légumes rachitiques à l'entrée du métro.
Ville de contrastes hallucinants ou le luxe tapageur cotoie la grande misère humaine.
Ce soir là, tradition de l'accueil à la Vodka oblige (dont mon crane douloureux se souviendra longtemps) la conversation est nécessairement enlevée : dans le torrent de la conversation, aussi puissante que le Dniepr qui coule en bordure de la ville, se mêle tout à la fois les commentaires sceptiques sur l'après révolution Orange qui a donné un nouveau président à l'Ukraine, Viktor Iouchtchenko dont la popularité est déja en berne, mais aussi les espoirs de lendemain meilleurs :
l'Europe s'arrête, ou commence, à ses postes frontières ? Non. L'Europe est toujours là où nait le rêve européen : ce soir là à Kiev, en parlant des espoirs de changement portés par la jeunesse, j'ai senti battre le désir de liberté et de démocratie en plein coeur de la ville; Un désir de liberté qui regardait vers l'Ouest.
Tout cela c'était bien sûr avant "l'autre révolution", celle du Maidan de 2013 qui elle aussi tourna ses regards vers l'Europe et l'espoir démocratique qu'elle incarne.
Cette première fois fut suivie d'une douzaine d'autres déplacements dans la capitale Ukrainienne jusqu'en Juillet 2011 .
J'ai connu l'Ukraine au bord du gouffre financier, les banques qui avaient fermé leur guichet en 2010, l'hyper inflation et la quasi panique bancaire évitée d'un cheveu.
j'ai connu l'Ukraine regardant l'Ours Russe comme un voisin omniprésent, la population de Kiev passant de l'usage de la langue Russe à l'Ukrainien sans réellement sourciller, les deux langues faisant partie du patrimoine commun.
J'ai connu l'Ukraine un peu absurde décrite dans les romains d'Andréi Kourkov où espions et maffieux se livrent à des tours de passe passe impressionnants pour faire disparaitre les richesses du pays dans les poches de quelques mystérieux personnages enfermés dans de gigantesques résidences sur protégées.
Je retiens de ces douze déplacements professionnels le courage d'un peuple dur au mal, habitué aux duretés du communisme, puis aux inégalités effroyables de l'ultra libéralisme à la mode locale, d'un peuple exaspéré jusqu'au désespoir par la prévarication et la corruption de ses élites...Mais d'un peuple debout.
On mesure surement mal, vu de notre côté de l'Europe, tout ce que peut représenter comme espoir notre Europe des 27. Malgré ses limites, malgré son libéralisme assumé qui laisse de côté nombre d'européens, malgré son système institutionnel d'une extréme complexité, malgré le peur d'allant des peuples européens pour relancer aujourd'hui l'Europe, cette dernière reste un rêve.
C'est pour ce rêve qu'il faut que l'Europe se fasse entendre aujourd'hui. Pour ne pas laisser la Crimée être le tribut versé au rêve impérialiste d'un Poutine.
Avec l'Ukraine aujourd'hui comme jadis; Au nom de ces amis et camarades connus en 2006 et auxquels je pense aujourd'hui alors que ce pays est au bord de la guerre.
Amitiés
Boris Faure