« Ça a tiré dans Paris ».
Ça a commencé comme ça. Comme dans un film.
Je venais de rentrer chez moi dans mon paisible quartier de bruxelles après un rassemblement politique dans le centre ville. Je me suis collé devant mon téléphone à l’affût des informations qui tombaient, parcellaires et de plus en plus morbides. On a tous fait comme ça ce soir-là. Mouches anxieuses collées aux vitres de nos écrans scintillants.
C’étaient les terrasses voisines de mon quartier du 10eme qui étaient touchées. Chez moi en somme. Un ami réside rue Alibert l’immeuble d’à côté du Petit Cambodge. Des amis ont leurs habitudes nocturnes par là-bas.
Alors anxieusement on a écrit aux uns et aux autres. En mode parfois télégraphique. Pour tisser un fil de vie malgré la mort qui venait de frapper.
Car ce soir sinistre tout le monde pouvait être touché, au fond. Loterie sinistre d’un carnage à l’aveugle et pourtant méthodique. Des petits salauds en commando ont donné la mort à l’arme lourde comme dans un jeu vidéo.
Vers 21h30 mes parents m’informent que ma sœur est de sortie dans le centre ville, elle aussi. La peur redouble quelques minutes. Et si ... ?
Puis ma sœur m’écrit. Elle cherche à se réfugier dans des bars. Paris panique. Les infos circulent et aussi les rumeurs. Combien sont-ils ces malades ? Paris paraît petit, comme une souricière géante, comme un traquenard à grande échelle : un Escape game géant dont certains joueurs ne réchapperont pas.
L’héroïsme est dans la fuite ce soir là : des portes se sont ouvertes devant les fuyards. Les réseaux sociaux trouvent une utilité réelle (pour une fois). Les parisiens serrent les coudes. D’autres portes restent fermées. Il y a la solidarité. Et les menus moments d’égoïsme ordinaire.
Et il y a surtout l’horreur dans les rues. Les sirènes. Les secours. Les hôpitaux qui débordent de victimes. Et le pavé luisant du sang des innocents. Bordel.
Ce soir-là la France entière est connectée mentalement avec son centre, capitale d’un carnage. On a géolocalisé le Bataclan sur les écrans. On attend d’en savoir plus. Avec cet effroi absolu que d’imaginer ce que c’est que d’être blessé, braqué ou piétiné dans un espace clos habituellement dédié à la fête. Le Bataclan tombeau de la jeunesse martyrisée.
Je me couche avec la tête pleine d’images terribles. Amis et parents sont saufs. Épargnés. Mais combien d’autres gisent au sol ? Le décompte mortel sera établi dans les jours suivants. Précis. Clinique. Qui fiche mal au ventre. Impuissance face à ces fêlés qui ont tué. Impuissance de la démocratie ? Ils sont morts pourtant eux aussi les salauds.
Le lendemain en retrouvant mes camarades à ce rassemblement politique que nous avons annulé, j’apprends qu’un des nôtres a perdu son fils, Victor. L’horreur à un visage.
Les jours qui suivent la France enterre ses morts. Et je suis présent comme des dizaines d’autres amis à l’enterrement de ce garçon que je ne connaissais pas. Jeune, engagé, généreux. Sa photo est portée par sa petite amie en larme et par sa famille si digne. Son père et sa mère sont droits malgré la pire douleur qui soit. Celle de perdre un enfant brutalement.
Victor devient pour moi le visage même de cette jeunesse fauchée par cette idéologie mortifère de l’islamisme, la victime de jeunes assassins de sang froid.
Sa photo est depuis posée chez moi à Paris. Quand je la regarde, je me souviens. De la nuit d’effroi et de celles et ceux qui sont tombés. D’ailleurs comment les oublier ?
Il n’y aura ni oubli ni pardon.
Ce 13 novembre 2021 je me souviens.